Un simulateur de CAPTCHA

Critique de Observation (No Code, 2019)

De tous les mensonges que les gamers ont l’habitude de répandre, l’un des plus éhontés est celui selon lequel il existerait des « simulateurs de marche ». Sous-entendu : on n’y ferait que marcher, dans ces jeux chiants pour gens prétentieux, qui ne méritent pas qu’on en parle tant. Naturellement, c’est faux : on y lit aussi des lettres et des e-mails, beaucoup de lettres et beaucoup d’e-mails, parfois des graffitis au mur, voire des cassettes audio et des vidéos. Sans ennemis à vaincre, ressources à gérer ou énigmes à résoudre (ou passants à séduire), il ne reste qu’à se balader et regarder autour de soi. Dans un “vrai” jeu vidéo, de ceux qui ne simulent pas bêtement la marche, les e-mails ne sont qu’un accessoire, comme les dialogues dans un film porno, ainsi que le disait John Carmack. Mais dans une « walking-sim », les e-mails sont la seule chose qui compte. S’ils ne sont pas bien écrits (et dans la vraie vie, un e-mail c’est rarement de la littérature), à quoi bon marcher tout ce temps pour aller les lire ? Et si la marche est si ennuyeuse, pourquoi ne pas s’en passer et faire des jeux qui sont juste des boîtes mail ou des fichiers d’ordinateur ?

Observation est presque de ceux-là, puisque dans ce jeu, nous ne sommes pas seulement dans un ordinateur : nous sommes l’ordinateur. Plus précisément, l’ordinateur de bord d’une station spatiale. Comme la station est en détresse, l’ordinateur est un peu fatigué et son intelligence artificielle (c’est nous !) a besoin de naviguer dans un menu pour passer d’une caméra à l’autre, de zoomer sur les ordinateurs pour accéder à leur contenu − oui, il s’agit intégralement d’e-mails − et de résoudre des “puzzles” qui n’en sont pas réellement, puisqu’à côté du puzzle se trouve toujours son mode d’emploi. Ainsi, à défaut de marcher dans Observation, on résout des CAPTCHA, à condition que le jeu nous y autorise : par exemple, l’amateur de SF (quel gamer ne l’est pas ?) remarquera l’écran « LIFE SUPPORT SYSTEMS » qui trône dans la salle principale, un des nombreux clins d’œil à 2001, l’Odyssée de l’espace. Zoomez dessus, et s’affiche un message « Non pertinent ». Le jeu ne vous laissera jamais finir comme CARL 9000, bien que le scénario suggère très tôt, et très fort, que vous et tous les autres allez finir comme dans la plupart des œuvres de fiction impliquant une station spatiale en détresse : morts et/ou fous.

Et c’est bien le souci avec Observation. Comme tant d’autres jeux, il nous fait le coup de la panne dans l’espace, il se repose sur les mémos d’employés tous morts/cinglés qui racontent que ça sent le rififi cette mission, et pire : il n’explique rien, se prenant pour 2001 jusqu’au bout, sauf que dans 2001 tout était expliqué dans le livre, et Observation n’a que trois pauvres pages dans son Wikia. Il y a pourtant bien d’autres choses, dans les jeux vidéo, qui peuvent raconter une histoire en dehors des e-mails. Il y a bien d’autres choses à faire, quand on sort faire une balade, que de “marcher”, même si les gamers font mine de ne pas le comprendre quand ils s’entêtent à parler de « simulateur de marche ». Peut-être Tacoma, event[0], ADR1FT, The Station ou The Turing Test font mieux le coup de la panne dans l’espace. Observation a pour lui une esthétique de hard-SF soignée, tellement hard que l’IA que l’on incarne doit résoudre des tests de Turing pour ouvrir la moindre porte. S’il y a un message, il est soit pas du tout subtil, soit indéchiffrable. Et je ne vais pas m’amuser à refaire le jeu et scanner tous les ordinateurs pour en avoir le cœur net.

Après coup : Le directeur artistique d’Observation, Jon McKellan, est celui qui a conçu les interfaces low-tech d’Alien: Isolation. Voilà qui explique pas mal de choses.

- LP

=>/gemlog/ Retour au sommaire

🎇 gemini://ailepet.pollux.casa/gemlog/2020-02-07_Observation.gmi